La couleur safran

(empreinte de clochette ghanta)

Les vies antérieures

Lorsque, puce ardente j'explorai le crane rasé du bonze Soif-d'Amour, ce n'était pas son sang que j'aimais. Certes, ce liquide que j'extrayais avec avidité des tuyauteries encore souple de ce récitant invétéré était empli de sagesses ancestrales. Mais la sagesse n'est guère sucrée, parfois son amertume me rebute même. Non, j'arpentais avec curiosité la sphère dorée surmontant les tissus amples et flottants de sa robe safranée. Ce crane couvert d'aspérités me surprenait sans cesse : le voici qui vibrant tamis secouait mon corps entier. Et de secousses en secousses nous nous retrouvions moi et la société qui partageait les lieux, poux, puces punaises, tiques rejetés peu à peu dans quelque anfractuosité, dans quelque vallon accidenté de cet hémisphère chantant. Chacun alors s'empressait de fuir, regagnant pour le jour, la paillasse, les cloisons délabrées de la cellule, les lattes du plancher ... Pour ma part afin d'échapper à la litanie infinie des résonnances basses et denses des mantras, je sautais habilement dans les sables du mandala. Alors, petite tache noire, infime tache noire agitant la clochette ghanta, j'aspirais à la sagesse du lama ...